The Peloponnesian War: La géographie d’un conflit

The Peloponnesian War: La géographie d’un conflit

juin 6, 2018 Non Par admin

Avec The Peloponnesian War, Victory Games a créé en 1991, un type complétement nouveau de jeu de simulation historique. Ni wargame, ni jeu de diplomatie, on peut en fait le décrire comme un « exercice historique de grande stratégie à pratiquer notamment en solitaire ». Prenant en compte des éléments militaires, économiques, diplomatiques et psychologiques pour juger de la victoire, The Peloponnesian War nous permet progressivement de comprendre les ressorts et les enjeux de la guerre antique. Il met aussi l’accent sur un point capital: les déterminismes géographiques du conflit entre Sparte et Athénes.

PORTRAIT D’UN « SOLITAIRE »
Pour pouvoir en aborder les fondements, il est nécessaire de situer l’échelle de la simulation proposée par Victory Cames. Un tour de jeu compte pour trois ans de temps réel (la partie se joue en dix tours maximum) et la carte représente la totalité du monde grec antique (péninsule hellénique, Îles grecques, côte ouest de l’ Asie mineure et Sicile). Pour désorienter le wargameur assidu, pas le moindre hexagone, mais seulement trois types différents de cases : des triangles pour les villes côtières, des carrés pour les villes de l’intérieur des terres et des ronds pour les Îles. À l’intérieur de ces symboles, la silhouette d’une forteresse si la ville possède une enceinte, Pour se déplacer d’un espace à un autre, il faut pouvoir suivre une des trois sortes de lignes de communication (LOC) tracées, selon les cas,sur la carte : traits simples pour des LOC navales, trajets doubles pour des LOC terrestres et traits triples pour les LOC mixtes (terrestres et/ou navales). Etant donné l’échelle du jeu, il est naturellement possible de traverser plusieurs fois en un tour, la totalité de la carte. Trois types de pions sont également présents, infanterie, cavalerie et flottes, avec leur nombre de points de force imprimés. Enfin, les chefs de chaque camp sont représentés par des pions nominatifs comportant deux valeurs (stratégique et tactique) et l’un d’eux est tiré au sort à chaque tour, pour Sparte et pour Athènes. Que ce soit pour les cases ou les pions, le jeu est strictement bicolore : rouge pour la Ligue du Péloponnèse (Sparte) et vert pour la Ligue de Délos (Athènes).
Le parti pris du jeu est d’avoir été conçu dans le but d’être pratiqué en solitaire et ce but est magnifiquement atteint. Le joueur commence la partie en commandant aux destinées d’une des deux cités belligérantes. À chaque tour, il détermine à l’aide d’une table la stratégie défensive du camp qu’il ne joue pas. Les opérations des deux camps sont ensuite menées à bien, une par une et alternativement. Elles peuvent ou non déboucher sur des escarmouches ou des com- bats. Le joueur conduit celles de sa cité, le mécanisme du jeu organisant celles de son adversaire en fonction des consignes de la stratégie sélectionnée sur la table.

Les résultats sont ensuite évalués et traduits en terme de trésor, de niveau de confiance et de niveau d’agressivité. L’examen comparatif de ces trois facteurs pour Sparte et pour Athènes permet de déterminer s’il y a un vainqueur, si une trêve doit être conclue ou si, plus simplement, la guerre doit se poursuivre. Au tour suivant, en fonction des points de victoire obtenus, le joueur peut être amené à changer de camp. Cela pourra survenir plusieurs fois dans la partie et empêchera bien entendu toute « tricherie  » du wargameur solitaire (qui équivaudrait en fait à une tricherie contre lui-même puisqu’il joue successivement les deux camps).

Il est facile d’adapter le principe des règles pour une rencontre à deux joueurs, il suffit de supprimer le recours à la table de détermination de stratégie au début de chaque année et de laisser chacun des deux belligérants choisir, pour le meilleur ou pour le pire, ses options stratégiques ! La bonne surprise est que The PeloPonnesian War est tout aussi passionnant en solitaire qu’à deux joueurs et que, dans les deux cas, la simplicité et la rigueur des règles évitent toute mauvaise surprise. Par contre, le scénario à trois joueurs s’avère moins efficace pour la bonne et simple raison que la guerre du Péloponnèse est un duel à mort entre deux cités rivales et que le joueur héritant de la Perse, malgré la véracité historique de son rôle d’arbitre engagé, va surtout compter les points.

THE PELOPONNESIAN WAR NE NOUS PROMET QUE DU SANG ET DES LARMES..
Chaque tour de jeu laisse peu de place à la poésie ou à la philosophie (ce sera pour plus tard). Par contre, la longue litanie des pillages, sièges, batailles rangées, caractéristiques des guerres de tous temps est simulée dans sa totalité. En solitaire, un jet de dés propose une des quatre options stratégiques suivantes pour le camp que ne commande pas le joueur: attaque d’un allié de Sparte (ou Athènes selon le camp représen- té), déclenchement de rebellions chez l’adversaire, action pour couper les lignes de commu- nications ou attaque de Sparte (ou d’ Athènes). À l’intérieur de ces options, un grand nombre de variantes sont introduites par l’intermédiaire de deux jets de dés supplémentaires. À deux joueurs, place au libre arbitre. De toute façon, c’est surtout de courage, de finesse et de calculs dont il faut, dans tous les cas, s’armer pour conduire les opérations militaires.
Dans les séquences de chaque tour de jeu, un certain nombre d’éléments sont déterminants :

En premier lieu, les ressources financières. Mener une opération a un coût proportionnel aux forces engagées. Toute campagne doit donc être envisagée dans un rapport dépense /recettes escomptées (conquêtes) ou dépenses /recettes de l’ennemi annihilées (pillages et rébellions déclenchées) afin d’en établir la rentabilité. Il faut également ménager l’avenir et avoir les moyens de lever des troupes quand le moment s’en fera sentir.
Dans la conduite des actions militaires, les possibilités d’interception de l’adversaire sont capitales. Une interception est possible à chaque fois qu’une armée traverse la Zone d’Influence (ZOI) d’une armée adverse. La ZOI d’une unité d’infanterie se limite à sa case de déploiement, celle de la cavalerie à un périmètre d’une case de celle de déploiement (via LOC terrestre ou mixte) et celle des flottes à un périmètre de deux cases de celle de déploiement (via LOC navale ou mixte). Établir des forces d’interception aux noeuds stratégiques de la carte peut permettre de paralyser l’adversaire.
Enfin, la valeur des chefs en jeu doit être prise en compte dans le choix des opérations du tour. Un chef ayant une valeur stratégique importante permet d’avoir l’initiative, et de conduire l’opération jugée capitale en priorité. Un chef autre ayant une valeur tactique élevée permet d’envisager la recherche du combat.

LA GÉOGRAPHIE N’EST PAS UNE SCIENCE MINEURE
Au commencement de la guerre du Péloponnèse, Athènes et ses alliées (101 cases contrôlées) et Sparte et ses alliées (57 cases contrôlées) ont des zones de domination bien délimitées et foncièrement différentes. Un premier coup d’oeil sur la carte du jeu de Victory Cames permet immédiatement de le vérifier en se fiant à la couleur d’identification des cases.
Les cases rouges (Sparte) couvrent majoritairement la zone sud-ouest de la carte: le Pélo- ponnèse plus les Îles de Mélos et Théra. Les cases vertes (Athènes) dominent dans les zones sud-est (les Cyclades), est (Asie mineure) et nord-est (côte Thrace et Chalcidique). La zone d’influence spartiate est très dense en cases (espace continental), celle d’Athènes beaucoup plus diffuse (espace maritime dont le centre est justement une mer et quelques Îles). Le point de rencontre des deux territoires se situe principalement en Béotie, au centre de la carte, où se trouvent six cases spartiates et trois cases athéniennes. Une seconde zone de friction apparaît, à l’écart, au nord-ouest (Etolie, Acarnanie et Îles lonniennes) avec six cases pour chacune des deux Ligues. Les neutres sont situés en marge, soit à l’extrême ouest (Sicile) soit au nord (Macédoine). Il faut enfin remarquer qu’ Athènes se trouve exposée en frontière ouest de sa zone de domination, alors que Sparte est mieux protégée au coeur du Péloponnèse.

Dans l’optique de guerre totale dans laquelle nous nous trouvons, l’objectif majeur des deux protagonistes est de pouvoir ravager les possessions de son adversaire (- 50 talents de revenu par tour et par case ravagée !) tout en protégeant les siennes. Pour cela, il est nécessaire, en regard des règles d’interception des opérations ennemies, de contrôler un certain nombre de points clés. The Peloponnesian War est, de ce point de vue, un excellent outil d’étude stratégique et la victoire est au bout du chemin de celui qui maîtrisera le mieux les particularités géographiques régionales de la Grèce.

LE SALUT D’ATHÈNES SE JOUE EN THRACE
Prenons d’abord le cas d’Athènes et de sa Ligue de Délos. L’Attique, coeur de l’Empire athénien est pauvre (six cases) et Athènes et ses Longs Murs ne sont pas prenables « à la hussarde ». Le talon d’Achille de la Ligue de Délos est le lieu même de sa richesse: les îles et la côte d’Asie mineure. En une campagne, une solide armée spartiate, même dépourvue de navires, si elle n’est pas interceptée, peut ravager la plupart des cases athéniennes d’Asie mineure. Pour verrouiller l’accès à l’Asie mineure, la Ligue de Délos peut compter sur plusieurs verrous qu’il lui faut tenir à tout prix. Ces points d’appuis sont tous au nord, sur l’unique chemin terrestre menant en Asie pour des Spartiates trop faibles en flottes au départ pour risquer l’aventure sur mer. Le plus important est sans conteste Amphipolis, forteresse située aux confins de la Chalcidique et de la Thrace, où une forte garnison doublée d’une flotte pour réaliser des interceptions représente un investissement très vite rentabilisé. Pour renforcer Amphipolis, les villes de Potidée et de Byzance sont des compléments intéressants, le premier en amont et le second en aval, pour gêner les campagnes spartiates vers l’ Asie. Pour protéger les îles, la tâche peut sembler plus facile. Au Sud, l’île d’Egine, accolée à l’ensemble Athènes/Pirée contrôle la route vers les Cyclades. Au centre, Chalcis (en Eubée) et Chios jouent un rôle identique. La géographie a ses déterminismes et l’avenir de l’Empire athénien peut se jouer sur la perte de la discrète cité d’Amphipolis ou encore par l’absence de forces d’interception à Chalcis, Byzance ou Chios. Mieux vaut le savoir avant de jouer, car pour en voir fait l’expérience, ce sont des principes qui, si ils sont oubliés, ne vous laisseront pas le temps de les regretter. Bien évidemment, ces verrous défensifs athéniens sont autant d’objectifs de conquête pour les adversaires spartiates. Bien tenus, ils forceront les Lacédémoniens à des actions hasardeuses et coûteuses, en un mot à investir dans la construction de navires pour tenter d’affronter Athènes sur son terrain: la mer.

LA FORTERESSE PÉLOPONNÈSE
Du côté spartiate, la configuration géographique du Péloponnèse est un avantage certain: le centre de la presqu’île ne peut être menacé que par une forte armée terrestre, qu’Athènes ne peut mettre en ceuvre, et les côtes sont riches en caps pouvant protéger les incursions dans les baies. Ainsi les Lacédémoniens, pour éviter les raids de la flotte de la Ligue de Délos, se doivent de contrôler « leur » Péloponnèse par l’établissement de forces d’interception en plusieurs points de la côte. Les cités d’Epidaure, de Pylos et d’Epidaure Limera sont particulièrement bien adaptées à cette tâche. Le souci géographique des Spartiates ne peut venir que de l’établissement durable de troupes ennemies dans le Péloponnèse même, car ils seraient alors obligés de les déloger en priorité, avant de pouvoir mener des actions offensives dans les territoires de l’adversaire. C’est ainsi qu’Argos, cité neutre suffisamment puissante, située au coeur de la zone de domination spartiate, a, tout au long du conflit, empoisonné la diplomatie et la stratégie lacédémonienne. Autre point faible de la « forteresse Péloponnèse », les mauvais débouchés de la flotte corinthienne, la seule digne de ce nom au sein de la Ligue du Péloponnèse. Du côté Est, le canal du Péloponnèse s’ouvre sur le jardin maritime d’Athènes, à portée du Pirée et d’Egi ne. Du côté Ouest, le port de Corinthe donne sur le long et périlleux Golfe du même nom (Naupacte à sa sortie est l’alliée d’Athènes). Voilà à nouveau une donnée géographique qui conditionne toute stratégie pour le camp spartiate.

À LA RECHERCHE DE FRICTIONS OU D’EXUTOIRES ?
Les particularités des zones d’influence de Sparte et d’Athènes, maintenant clairement posées, avec leurs verrous et leurs clés, où est-il possible de trouver la victoire décisive que les ravages des territoires adverses ne font que préparer ? À nouveau, la configuration naturelle de la péninsule hellénique a fait son choix bien avant que les stratèges des deux cités n’aient commencé à y réfléchir. Pour Athènes et son empire maritime, la seule ouverture sur l’intérieur des terres passe par la Béotie, là où se trouve la zone de friction principale entre les alliées des deux protagonistes.
Platées et Atlante, cités favorables à la Ligue de Délos font face à la grande puissance locale, Thèbes, et à trois autres cités béotiennes (Siphae, Chéronnée et Cythinium). Celle qui, de Lacédémone ou d’Athènes inscrit son hégémonie sur cette zone, marque un point capital dans le conflit, les premières en interdisant toute ambition continentale à leurs adversaires, les secondes en bâtissant un ensemble continental cohérent (Attique plus Béotie) apte à concurrencer celui de Sparte. Inutile de préciser que les chances d’aboutir sont plus fortes pour Sparte grâce à son alliée Thèbes, bien plus puissante que ses voisines béotiennes.

L’alternative au combat en zone de friction pour l’obtention de l’hégémonie ne peut être trouvée que dans la recherche d’exutoires. Que ce soit avant ou après une guerre en Béotie, l’aventure dans une riche périphérie de l’espace géographique grec présente des avantages notables. La situation bloquée née de l’imbrication d’une ligue continentale et d’un empire maritime de force égale peut en effet être « décadenassée » par une conquête lointaine déséquilibrant l’ensemble. La Sicile apparaît, à ce petit jeu, telle la terre promise. Très riche, excentrée à l’ouest, la mainmise sur ses cités peut être une des clés de la guerre. Comme on ne peut y aller qu’en bateau, Athènes, désavantagée dans le « conflit de friction « , semble là bien plus à son aise. Pour Sparte, le dérivatif peut plus vraisemblablement se trouver au Nord, en Chalcidique par exemple, qui peut être atteinte par voie terrestre.

UNE COURSE CONTRE LA MONTRE
L’intérêt tout particulier de The Peloponnesian War est de se présenter un peu comme le chronomètre d’une course contre la montre, exercice solitaire par excellence, mais que l’on peut également pratiquer avec d’autres adversaires que soi-même. Dans cette course, les objectifs sont conditionnés en grande partie par les déterminismes de l’environnement géographique régional. Comment protéger ses zones de domination des pillages adverses ? Où et comment placer des verrous de protection et comment les faire sauter ? Où déstabiliser une situation équilibrée au départ ? Comment exploiter les zones où le contact des deux Ligues est direct ? Ce sont autant de questions auxquelles le système mis au point par Victory Cames permet de répondre au fil de parties qui peuvent ne jamais vraiment se ressembler. .